Une des caractéristiques essentielles du christianisme est la possibilité offerte au croyant de pouvoir entrer dans une relation personnelle d'amitié avec Dieu. Un des moments privilégiés pour vivre cette intimité est celui de la prière. Et cette expérience est commune aux chrétiens de toutes dénominations. Le Père Michalon (auquel est dédié ce numéro de notre revue dont il était le fondateur) invitait à prier pour " que l'Esprit fasse monter la même prière en tous ceux qui communient au Christ ". Mais d'ores et déjà, tous " se rencontrent par et dans l'unique Christ priant ". L'union de prières comme l'Unité nous est déjà donnée. Et cependant, pour chacun de nous, la prière se revêt d'images, de sons ou de silences, d'impressions, de parfums parfois familiers, qui nous sont personnels, ou qui sont propres à notre Eglise, voire au courant spirituel qui est le nôtre. A tel point qu'il peut nous arriver d'être gêné, voire scandalisé par la façon de prier d'un autre croyant, communauté ou Eglise, qui vit son cœur à cœur avec Dieu d'une manière bien différente de la nôtre ! Même nos mots pour parler de la prière peuvent diverger. La prière quotidienne est dite " oraison " dans les Eglises historiques et " culte personnel " dans les Eglises évangéliques. Ici, parler à d'autres chrétiens de ce qui se vit dans son intimité priante avec son Seigneur est une marque de confiance et l'espoir d'un enrichissement mutuel ; ailleurs, c'est un manque de pudeur intolérable. La prière de l'autre me paraît souvent trop (ou pas assez) cadrée, émotionnelle, statique... Chacun a le souvenir douloureux de certaines célébrations œcuméniques (ou parfois à l'intérieur d'une même confession chrétienne, quand sont présentes des personnes appartenant à des spiritualités différentes), où la gêne est perceptible : personne n'ose vraiment s'impliquer, de peur de choquer les autres assistants ! Nous faisons le pari, dans ce numéro, que le partage de nos réflexions et de nos expériences multiformes de priants peut constituer une avancée vers plus d'unité visible et être le lieu d'une grâce, en contribuant à la joie du Père devant ses enfants assemblés. Si parfois la prière d'autres chrétiens nous scandalise, il faut aussi nous demander dans quelle mesure elle peut nous remettre utilement en question et nous enrichir ! Plutôt que de nous regarder les uns les autres avec méfiance, tâchons de regarder ensemble dans la même direction, celle du Seigneur qui, lui-même, nous invite à prier. Les pages qui suivent n'ont pas d'autre ambition que de nous inviter à goûter à la prière des " autres chrétiens " et des " chrétiens autrement que nous ", de nous faire partager les trésors de nos héritages individuels et communautaires pour nous ouvrir davantage à la rencontre de notre Père commun. Michel Barlow