Seule l'absence de maison rappelle avec force combien chacun aspire intensément à son petit coin de l'univers. A ce "chez-soi" sécurisé et familier, grâce auquel se jouer des dangers de la rue et s'abstraire, ne serait-ce qu'un moment, des désordres du monde. Mais l'évidence même de ce lieu-refuge, de cet espace ô combien intime, ferait presque oublier qu'il est le produit d'une longue histoire. Qu'il est pétri d'affects, de symboles et de traditions. Que, par ailleurs, nos façons d'entrer dans une demeure, de franchir ses seuils ou de nous y enfermer, de distinguer ses pièces et d'en user de façon partagée ou privée, de nous y mouvoir et d'y recevoir, appellent bel et bien une science sociale de l'espace domestique. Pour sa deuxième livraison, la revue Sensibilités a donc souhaité, non pas traquer la maison "en soi", mais mieux saisir les sens de la maison. Soit tout à la fois décrire l'écheveau de significations dans laquelle elle est prise, société par société, époque par époque, milieu par milieu, les sens giratoires, uniques ou interdits qui organisent la circulation en son sein, la culture sensible, enfin, forgée par telle ou telle tradition domestique. Et si, in fine, l'essence de la maison nous échappera toujours, c'est que nous n'aurons jamais sur elle qu'une perspective. Nous serons soit dedans, soit dehors. De face ou de côté. Trop près ou trop loin. Mais puisse-t-on au moins ici faire sentir de nouveau l'étrangeté de ce lieu d'ordinaire si familier, en défaire ainsi la sereine évidence tout en rappelant la puissance des affects qui lui sont associés.