Criminologues de tous poils, experts en " risque terroriste ", praticiens de la " géopolitique de la menace islamiste " : le champ politique et médiatique regorge de plus en plus de spécialistes, bardés de titres aussi nombreux que cryptiques, qui s'évertuent à rendre sensibles les multiples " menaces " censées peser sur notre quotidien démocratique. Rattachés à des instituts d'analyse stratégique autoproclamés, alimentant les rapports produits par des think tanks souvent liés aux administrations publiques répressives, ces experts de la peur apparaissent cycliquement, à l'occasion du drame d'un crime ou d'un attentat, sur les plateaux des journaux télévisés et dans les talk-shows. " Tireurs d'alarmes " qui ne résonnent que par leurs soins particuliers, ils sont cependant rarement pris eux-mêmes pour objet d'une réflexion critique sur les conditions de production et de circulation des discours de la menace antidémocratique. Ce numéro de Savoir/Agir se propose de revenir en détail sur les trajectoires et le rôle joué dans le champ politique par ces acteurs, qui interviennent de façon récurrente dans le débat public _u nom de leur connaissance dite spécifique d'un " risque collectif majeur ", d'un " enjeu de société préoccupant ". Il passe au crible de l'enquête sociologique les spécialistes de la " sécurité ", de la " banlieue ", du " terrorisme islamiste ", et propose ainsi une réflexion générale sur ceux qui tirent - selon les mots de Marx - un " bénéfice secondaire du crime ". Les contributeurs réunis dans ce numéro montrent, chacun à partir de son travail d'enquête, comment ces acteurs réussissent à faire exister, au sein de l'espace public, le besoin de leurs propres " compétences ", et comment ils contribuent ainsi fréquemment à durcir et à consolider des représentations - du caractère " criminogène " des classes populaires ou de la dimension intrinsèquement guerrière de l'islam - pourtant invalidées depuis des décennies déjà par les sciences sociales.