Qui s'aventure dans les écrits de Rousseau a tôt fait de lire ses développements sur la force qui ne fait pas droit et sur l'injonction du Contrat social concernant le citoyen qu'on "forcera à être libre" . Il peut alors se contenter de dévider les banalités que lui offre la pensée dominante ou aller plus loin. Il lira peut-être cette appréciation de Rousseau valable de tout temps : "Quand on a la force en main, et qu'on ne veut pas être juste, on laisse dire et l'on va son train" , ou bien cette explication qui clarifie la situation : "J'appelle tyran l'usurpateur de l'autorité royale, et despote l'usurpateur du pouvoir souverain. Le tyran est celui qui s'ingère contre les lois à gouverner selon les lois ; le despote est celui qui se met au-dessus des lois-mêmes. Ainsi le tyran peut n'être pas despote, mais le despote est toujours tyran" , avec laquelle il pourra faire quelque prolongement contemporain. Le thème de la force dans la pensée de Rousseau a cependant été peu traité et il a peu de chance d'être inscrit dans un colloque au moment où les nations du monde entier nous menacent d'offensive nucléaire. Le thème est pourtant important et sous-jacent en de nombreuses pages de Rousseau, qu'il soit à l'origine de sa réflexion sur l'inégalité de condition de l'homme moderne, ou dans son idéal de société régénérée selon le modèle spartiate. Le goût du philosophe pour la solitude et la rêverie est aussi un moyen de se garantir des hommes et de leur oppression, ressentie toute sa vie et concrétisée par les condamnations prononcées par plusieurs Etats contre lui. Rousseau n'a pas cédé et a donné aux générations futures ce "lait des forts" dont Nerval a parlé dans Les filles du feu. Il ne nous reste qu'à en retrouver le goût. Facile à dire, pas facile à faire.