Les textes présentés dans ce dossier prolongent les contributions données par nos auteurs
à une journée d’étude organisée en hommage à Emmanuel Le Roy Ladurie le 11 juin 2009 à la
BNF, et qui comportait une section consacrée à l’histoire climatique. Administrateur général de la
Bibliothèque nationale d’octobre 1987 à janvier 1994, membre de l’Institut, titulaire de la chaire
d’Histoire de la civilisation moderne au Collège de France de 1973 à 1999, Emmanuel Le Roy Ladurie s’est intéressé très tôt à l’histoire du climat sur laquelle il a commencé à publier dès 1957.
En 1967, il publie l’Histoire du climat depuis l’an mil, ouvrage novateur et fondateur mais mieux reçu à l’étranger que chez les historiens français, comme l’expose ici même Emmanuel Garnier qui revient sur la place tenue par les historiens dans les débats actuels sur la question du réchauffement.
Loin d’avoir renoncé, Emmanuel Le Roy Ladurie a poursuivi ses recherches, les approfondissant
sans cesse, les nuançant toujours.
Est ainsi parue une volumineuse Histoire humaine et comparée
du climat en trois volumes entre 2004 et 2009. Aussi Anouchka Vasak analyse-t-elle dans ce
dossier l’évolution de la pensée « ladurienne » sur l’histoire du climat. Elle souligne notamment le
virage anthropologique, dont rend compte le titre de la dernière trilogie, pris par ce promoteur de
« l’histoire immobile », pour reprendre le titre de sa leçon inaugurale au Collège de France, célèbre pour avoir élargi le territoire de l’historien à « l’histoire sans les hommes 1 », même si au final l’activité humaine n’était jamais loin des pensées de Le Roy Ladurie toujours attentif à évaluer
les menaces ayant pesé sur le développement de l’humanité.
Dans le texte inédit qu’il présente ici, Emmanuel Le Roy Ladurie nous donne sa vision la plus récente de l’évolution dans la longue durée du climat européen. La variabilité climatique, temporelle et spatiale, y est mise en avant. Toujours sensible aux oscillations et fluctuations, il souligne l’importance des effets des chocs sur la société. L’exemple du XVIIe siècle montre bien qu’une fraîcheur globale n’exclut pas les moments de moindre fraîcheur et même de belles séquences chaudes : les sécheresses de ce « petit âge glaciaire » ont durablement marqué les esprits.
Si le nombre de périodes de sécheresse est en augmentation au XXe siècle, leur durée a en revanche tendance à diminuer, et elles se situent plutôt l’été ou l’automne qu’au printemps. Dans une année froide, rappelle encore Le Roy Ladurie, ce qui compte, particulièrement dans des économies encore agricoles, ce sont, plus encore que la fraîcheur d’un été, les excès des précipitations. De même, le recul des glaciers dans la seconde moitié du XIXe siècle est certes dû à des étés chauds, mais aussi à des hivers moins neigeux.
Et les hivers froids de notre période de réchauffement ne sont pas une espèce en voie d’extinction. Les changements climatiques ne se traduisent pas tant par une évolution régulière que par l’augmentation de la fréquence des accidents. Les mécanismes des fluctuations naturelles du climat sont encore mal connus d’où l’importance de la mise en perspective historique, d’autant qu’il est possible, comme l’ont montré les travaux d’E Garnier2, de reconstruire les événements extrêmes qu’a connus le passé.
On voit bien, à lire Le Roy Ladurie, qu’il a existé jadis des pics thermiques qui n’ont rien à envier aux nôtres. L’historien dispose, pour ses reconstructions, de données instrumentales, souvent récentes (par ex. les températures réellement mesurées), et de données indirectes, plutôt de nature
anthropique (par ex les dates de vendanges). Son rôle est de les contextualiser de manière à
permettre aux « scientifiques » de calibrer et modéliser les relations qui existent entre elles.
Ce
rôle est d’autant plus nécessaire que l’on sait que nos perceptions du climat sont aussi subjectives
que sélectives : la disparition des saisons est un discours récurrent qui existait déjà sous l’Ancien
Régime, le jamais vu de mémoire d’homme pouvant renvoyer à moins de deux ans 3 ! Les dates de vendanges comptent parmi les principaux outils de l’historien du climat. Précises et annuelles, elles sont un bon indicateur sur la chaleur ou la fraîcheur des printemps et des étés.
Elles présentent aussi l’avantage unique de séries régulières sur la longue durée puisqu’on les connaît pour certaines régions, en Bourgogne par exemple, depuis le XIVe siècle. Partant de la relation qui existe entre température et développement de la vigne, la date des vendanges correspond à l’époque de maturité du raisin qui est fortement liée aux températures, la physicienne Valérie Daux a élaboré une méthodologie permettant de les utiliser scientifiquement pour reconstituer les températures d’avril à août et permettre ainsi une reconstruction des climats du passé.
Elle présente ici la construction de ce modèle statistiquement satisfaisant et transposable qui, à cépage égal, intègre aussi de nombreux paramètres locaux et des facteurs humains. Elle réussit avec succès, de manière inédite, à marier la rigueur des sciences dites dures avec la contextualisation géographique, historique et technique. Aussi cette avancée est-elle une bonne illustration de la fécondité que peut produire l’interdisciplinarité pour laquelle Emmanuel Le Roy Ladurie a milité depuis tant d’années.
Travail de Romain certes, mais auquel se sont attelés avec persévérance et talent ses disciples, comme ils le montrent dans le dossier que présente notre revue.