En Italie, la mémoire de la Shoah occupe depuis la fin des années 1980 une place centrale dans le discours public. Transformée aujourd'hui en phénomène culturel et en un rite collectif qui trouve dans les "Trains de la Mémoire" l'exemple le plus éclatant, cette mémoire semble marquée par un contraste frappant entre la banalisation, parfois la légitimation, du passé fasciste d'un côté, et la reconnaissance de la Shoah en Italie de l'autre. Comme si le refoulement de l'adhésion d'une partie non négligeable de la population italienne à la politique antijuive du régime était nécessaire pour décliner une mémoire nationale douloureuse en mémoire universelle capable de rendre opaque toute responsabilité individuelle et collective. Cette distorsion mémorielle se retrouve notamment dans la formulation de la loi de l'an 2000 pour l'instauration de la Journée de la mémoire de la Shoah. Le fascisme n'y est jamais mentionné et un accent démesuré est mis sur le sauvetage, ce qui permet de glisser sur le rôle des Italiens dans la persécution de leurs concitoyens juifs, en particulier à partir d'une pratique de délation plus répandue qu'on ne le croit souvent. Si la recherche historiographique et les milieux intellectuels sont marqués par une grande vitalité, avec la publication de travaux importants, la distorsion est nette avec la manière dont cette tragédie est transmise, caractérisée par une multitude de projets pédagogiques et d'actions publiques surtout animés par la nécessité de construire un "espace de citoyenneté" pour les jeunes générations. C'est pourquoi, en Italie, cette politique de la mémoire de la Shoah conjugue le mythe du "bon Italien" (catholique) et l'occultation fréquente des responsabilités nationales dans la persécution des Juifs au profit d'un discours moral autour d'Auschwitz.