Féminisme et multiculturalisme ont au moins un objectif commun : souligner et dépasser les limites de la théorie libérale de la justice. Parce que certaines inégalités touchent spécifiquement les femmes ou les membres de cultures minoritaires, considérer seulement l'individu abstrait laisse dans l'ombre bon nombre d'injustices. Autrement dit, le féminisme et le multiculturalisme se ressemblent parce qu'ils se donnent d'abord pour tâche un travail de mise en lumière : décrire et rendre visibles des identités qui passent trop facilement sous silence, éclairer des situations d'injustices qui demeurent trop souvent cachées dans la sphère privée ou qui mettent en jeu le rapport délicat de l'individu à la communauté. Et décrire pour revendiquer, enfin, des droits spécifiquement destinés à protéger l'individu dans son appartenance générique ou culturelle. Mais féminisme et multiculturalisme se rejoignent-ils autrement que par ce combat commun ? Le détail des mesures politiques semble bien souvent révéler une tension manifeste entre les deux projets. En effet, comme Susan Moller Okin l'a fortement dénoncé dans un article fondateur de 1997 traduit ici en français pour la première fois, les mêmes cultures minoritaires que l'on cherche à défendre ont parfois des caractéristiques patriarcales problématiques : il est alors fort à craindre que le multiculturalisme ne soit un nouvel ennemi du féminisme. Entre défense des cultures et droit des femmes, faudrait-il donc choisir ?