Ce numéro s'ouvre sur des textes choisis de Bolzano (traduits et présentés par Alain Gallerand), qui se penchent sur la manière dont le langage traduit les entités logiques (les propositions en .roi, et les représentations en soi qui en sont les composantes), et s'intéresse aux propositions contenant des intuitions – c'est-à-dire des représentations qui, à la différence des concepts, sont à la fois simples (quant à leur contenu) et singulières (quant à leur objet) : cette couleur que je vois, cette odeur que je sens, cette douleur que je ressens sont-elles exprimables et communicables, et ont-elles une place dans les exposés scientifiques ? Ces textes esquissent ainsi une théorie de l'indexicalité, et révèlent la présence de l'ineffable et les limites de la communication linguistique. Vient ensuite la seconde partie du texte de Wouter Goris «L'a priori historique chez Husserl et Foucault» (la première a été publiée dans le n°123). L'auteur y analyse l'oxymore philosophique qu'est l'a priori historique, dont il retrace l'origine depuis «L'origine de la géométrie» de Husserl, où ce dernier thématise l'a priori de l'historicité, à savoir les structures formelles de tout horizon historique qui précèdent toute rationalité historiographique. La seconde partie de l'article de W. Doris concerne davantage Foucault, chez qui il s'agit moins d'a priori de l'histoire que d'a priori dans l'histoire : à savoir les formes a priori de la dicibilité et de la visibilité qui caractérisent une épistémè. Dans «Auto-éveil et témoignage», Yasuhiko Sugimura vise à présenter au lectorat français la philosophie de l'Ecolc de Kyôto (notamment celle de ses fondateurs Kitarô Nishida et Hajime Tanabe), en montrant que loin d'être une synthèse idéalisée de la logique occidentale et de la sagesse orientale, c'est une philosophie du Néant absolu qui ne se rattache pas à la tradition bouddhiste. II tente un rapprochement avec la pensée de philosophes français post-heideggériens tels que Levinas, Ricoeur et Derrida, au fil conducteur des idées centrales d'auto-éveil et de témoignage. Dans»Cinq postulats de la théorie des concepts», Alain Séguy-Duclot explicite les postulats généralement situés au fondement de la philosophie du langage et de la théorie des concepts : 1) toute communication est transmission d'un sens ; 2) deux objets distincts ne peuvent être identiques ; 3) tout individu est singulier ; 4) tout sens est conceptuel ; 5) l'abstraction conceptuelle opère par mise au jour de ressemblances entre des objets distincts. Il tente alors de montrer que ces postulats constituent autant d'obstacles à la théorisation. Enfin, la «Réponse à l'once Pilate» de Pascal Engel renoue avec l'ancienne tradition des dialogues philosophiques. Selon l'auteur, Ponce Pilate, quand il prit sa décision fatale, aurait mieux fait d'être plus philosophe et moins sceptique, et aurait dû réfléchir au rôle de la vérité comme norme, que lui rappelle vingt années plus tard l'épicurien Aclius au bord du Pausilippe ; il n'est guère aisé de formuler avec précision cette norme, comme l'habile Pilate le montre à son interlocuteur, qui parvient néanmoins à le convaincre qu'elle doit être comprise comme une norme de connaissance : on ne peut croire quelque chose que si l'on est en mesure de le savoir.