Depuis les années quatre-vingt, la littérature a retrouvé un intérêt pour le travail qu'elle avait perdu depuis des décennies. Effet "d'un retour au réel" qui pousse les écrivains contemporains sur les voies du témoignage, de la mémoire, de l'enquête et de l'entretien : autant de pratiques qui suscitent des formes d'écriture autant qu'elles constituent des rapports au monde social. Aussi les oeuvres qui en émergent n'ont-elles rien à voir avec une résurgence du naturalisme ou de l'engagement. Le monde des ouvriers, des employés et des cadres, observé, décrit, raconté ou fictionné pour lui-même, n'est pas un objet comme un autre, mais un de ceux qui ont le plus contribué à renouveler les formes narratives depuis trente ans en France et ailleurs dans le monde. Entre autres raisons parce que c'est un objet de langage : dans un monde où l'entreprise a imposé ses normes à la langue, le roman, comme la poésie, doit inventer les formes qui rendent toute sa puissance critique à la pensée.
Stéphane Bikialo est maître de conférences en Langue et Littérature française à l'université de Poitiers. Jean-Paul Engélibert est professeur de littérature comparée à l'université Michel de Montaigne, Bordeaux 3.