Les sciences sociales se sont développées sur la base d'une
double émancipation épistémologique, l'émancipation de la
philosophie et l'émancipation des sciences de la nature, l'enjeu
étant l'autonomisation d'objets, de problématiques et de
méthodologies propres. Pour nécessaire qu'elle ait pu d'abord
être dans la construction d'une identité scientifique, cette
double émancipation a conduit à délaisser le chantier d'une
anthropologie générale spécifique aux sciences sociales, voire
à en disqualifier l'exigence, par l'affirmation d'un
constructivisme parfois bien commode et souvent refuge d'un
naturalisme subtil. A quelles conditions et sous quelles formes
une anthropologie générale est aujourd'hui possible, qui ne
soit ni la resucée de la figure abstraite qu'elle prenait dans la
philosophie occidentale, ni la capitulation devant
l'anthropologie naturaliste que les sciences "dures"
(neurobiologie, génétique, cognitivisme, etc) entendent lui
substituer intégralement ? Bref, il s'agit d'actualiser la question
: "qu'est-ce que l'humain ?", non pour convoquer à nouveau
une anthropologie de la nature humaine, mais pour construire
une anthropologie de la condition humaine, support
indispensable au projet critique des sciences sociales.