La diffusion de l'électricité a bouleversé l'Europe de la deuxième révolution industrielle. Cette industrie et les hommes qui l'animent se trouvent placés au cœur des grands enjeux de société du XXe siècle. Pourtant, la dimension sociale de leur histoire a jusqu'ici assez peu retenu l'attention. Ce dossier d'Histoire & Sociétés entend combler une partie de ce déficit. Il existe sans aucun doute un modèle français de relations sociales. Dans une synthèse sur le siècle, Michel Dreyfus et Stéphane Sirot montrent comment le syndicalisme électrique s'est structuré, autour de quelles revendications, en usant régulièrement de la pratique gréviste. Deux exemples régionaux illustrent la variété de cette pratique à la fin des années 1960, alors que la société de consommation, au développement de laquelle l'électricité a contribué, se fissure. À partir de témoignages oraux, John Barzman analyse la perception, par les électriciens du Havre, des grèves du printemps 1968. Depuis l'observatoire privilégié de Bordeaux, Alexandre Fernandez évoque un mode original d'opposition à des mesures gouvernementales : la substitution à la grève d'un référendum interne à EDF-GDF. La France, avec son modèle de régulation conflictuelle des rapports sociaux est-elle isolée en Europe ? Comment les employeurs de l'industrie électrique conçoivent-ils, en Allemagne, en Espagne et en France, les relations sociales ? Dans les entreprises madrilènes de l'entre-deux-guerres, étudiées par Anna Aubanell Jubany, les politiques de " bien-être industriel " leur permettent d'échapper à la grève. Chez Pechiney, montre Gérard Vindt, des postures répressives sont d'abord adoptées, remplacées après 1945 par une politique sociale conçue comme une réponse à la lutte des classes. Dans la grande entreprise Hidroeléctrica Española, suivie par Ivan Ureta Vaquero, des mesures à caractère paternaliste parviennent à éviter les mouvements revendicatifs. Enfin, avec l'exemple des Vereinigte Elektrizitätswerke Westfalen AG de Dortmund, Karl Lauschke montre comment, en Allemagne de l'Ouest, la cogestion mise en place après 1945 limite l'éclosion des conflits ouverts.