Depuis l'Antiquité un grand nombre d'auteurs attribuent aux images un pouvoir que sauraient ni les textes ni les paroles, un pouvoir supérieur en efficacité : le pouvoir d'agir sur les pensées et les actes de leurs spectateurs, en dépit de leurs opinions ou de leurs choix personnels, en touchant directement le cœur. Le pouvoir des images serait celui d'une manipulation de la sensibilité, généralement comprise comme une orientation cachée des esprits, et cela dès le plus jeune âge. L'image est, Platon le voit bien, un "pharmakon", à la fois poison et remède. Pouvoir et influence sont ainsi étroitement mêlés dans l'esprit des critiques comme des amateurs d'images, la séduction des images étant d'autant plus forte qu'elle serait mauvaise et s'exercerait sur un public plus jeune. Plus encore que l'Ancien Testament, le Coran révèle par ses interdits les enjeux de la crainte des pouvoirs des images ; une peur qui ne va pas sans fascination. Seul Dieu créateur, Allah, a le pouvoir de donner vie. L'homme qui ferait des images de ce qui est ou pourrait être se prendrait pour Dieu. Un sacrilège reposant sur un fantasme ! Nonobstant, l'islam a aussi favorisé la création d'images magnifiques, et le débat sur la figuration suscite toujours de nombreuses controverses. C'est pour cela qu'il est tout particulièrement heuristique d'analyser les stratégies dont usent aujourd'hui les artistes "islamiques" pour réaliser des images sans "trop" contrevenir aux préceptes coraniques. On les voit mieux car elles sont écrites en "gros caractères", pour reprendre la célèbre formule de La République. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de retrouver des modalités de détournement similaires dans les cultures occidentales dont le fondement, chrétien, favorise tout au contraire le déploiement mirifique des images. Comment profiter de la beauté des figures païennes dans des Cènes religieuses sans encourir les foudres de l'Inquisition, se demandait Véronèse. Comment insuffler la force intempestive de l'art dans la bulle d'images publicitaires qui sidère le téléconsommateur, se demandent les artistes aujourd'hui. Autant de cultures, autant d'images du pouvoir et de pouvoirs des images (poison et remède). Si les images du pouvoir sont partout, elles sont habitées par des puissances qui les débordent. Chaque type d'images met en scène une dominante : religieuse, idéologique, publicitaire ou artistique. Celle-ci met en œuvre un système complexe de figures de rhétorique et de dispositifs plastiques ou visuels, que les chercheurs d'IMAGINES (laboratoire de recherche de l'université Michel de Montaigne, Bordeaux 3) analysent et distinguent très précisément grâce à une approche esthétique nourrie de sciences humaines, dans ce numéro 11 de Figures de l'Art.