Né en 1927, Jacques Dupin est l'auteur d 'une œuvre qui se
détache au premier plan de la poésie contemporaine. Pour sa
génération, dont les débuts ont coïncidé avec les lendemains
de la Libération, les images de la guerre avaient laissé des
marques ineffaçables : parmi les débris et les éclats d 'un
monde qui n 'avait plus de centre, la langue semblait elle aussi
pulvérisée, violemment. Des poètes s'écartèrent alors de la
toute-puissance accordée à l'imaginaire. Ils se tinrent en retrait
des grands élans avec leurs risques d'idéalisme. Une soif de
réalités, à toucher à nommer, animait la plupart. Les uns
voulaient "baisser le ton", partir du plus bas pour ramener la
poésie vers un réel plus concrètement palpable, d'autres
décapaient la langue pour "griffer la réalité". L'oeuvre de
Dupin s 'ouvrit en ces années-là. Sa force s 'imposa dès
l'abord, intransigeante et âpre, sauvage même. Les mots
inaltérés de Jacques Dupin partent d'une exigence irréductible
de mise à nu de la langue et de soi, à force de brisures et de
meurtrissures. Car l'intégrité commande de "se jeter contre" le
mur du dehors, l 'opacité du dedans, en se connaissant
vulnérable, et déchiré. Pour Jacques Dupin, chez qui la langue
est éprouvée comme un mouvement perpétuel, la force
critique de la poésie est de briser le masque d 'une immobilité
illusoire du présent pour rendre les choses à leur devenir: La
poésie, dit Dupin, c'est une recherche "de Vêtir dans le monde
et de 1'autre dans la langue". C 'est sous ce signe que se situe,
ici même, la rencontre avec ce poète intègre et fraternel qui
aura su, aussi, pénétrer au plus vif des œuvres d'artistes qui
furent ses amis, de Juan Miro à Alberto Giacometti.