Huysmans et Villiers de l'Isle-Adam sont deux orfèvres de la prose dont les œuvres se détachent au premier plan de la littérature de la fin du XIX siècle. L'un et l'autre se portaient une estime réciproque. Ils partageaient les mêmes fureurs et les mêmes dégoûts, le même tourment de l'idéal, le même sens du grotesque, la même haine du positivisme et de l'esprit mercantile. Tous deux aiguisaient leurs griffes pour assassiner un même monstre: le bourgeois. Dans une lettre à Stéphane Mallarmé, en septembre 1866, Villiers écrivait: " Je travaille à nous venger... Le fait est que je ferai du bourgeois, si Dieu me prête vie, ce que Voltaire a fait des cléricaux, Rousseau des gentilshommes et Molière des médecins. " Sur ce terrain, Huysmans ne fut pas de reste. Pour avoir honni leur époque, ils n'en furent pas moins des écrivains de leur temps. " Contemporain de l'orgueil scientifique - écrira Remy de Gourmont à propos de l'auteur des Contes cruels et de L'Eve future - il fut le Goethe de la magie rationnelle, et peut-être eût-il voulu en être le Faust. Mais il y avait en son génie plusieurs génies Swift n'est pas plus amer, ni Hoffmann plus fantastique, ni Poe plus désespérément logique... Il réunissait tous les dons de l'ironiste, du rêveur et du philosophe. " Quant à Huysmans, sa trajectoire le conduisit de la jeune école naturaliste à ce " bréviaire de la décadence " qu'est A rebours, portrait d'un esthète névropathe et histoire d'" une âme malade d'infini dans une société qui ne croît plus qu'aux choses finies ", comme le nota Barbey d'Aurevilly qui ajoutait qu'après un tel livre, il ne restait plus à l'auteur qu'à choisir entre " la bouche d'un pistolet et les pieds de la croix ".