Depuis l'Antiquité grecque et pendant longtemps, la poésie a été conçue pour être principalement chantée tandis que la musique a toujours comporté une dimension vocale. Dans l'art savant des troubadours qui fut au Moyen Age le berceau de la lyrique moderne, ces deux expressions fondamentales de l'humanité que sont la poésie et la musique entretenaient encore des rapports étroits. La figure du troubadour associait en effet trois moments créatifs : l'écriture du poème, la composition de mélodies et la performance. Si l'on assista par la suite à une disjonction entre poésie et musique, elle ne se traduisit cependant jamais en termes de divorce absolu et définitif. A travers des réflexions plurielles, ce numéro d'Europe nous invite à explorer ce qu'il est advenu d'un lien millénaire : perdure-t-il aujourd'hui, se renouvelle-t-il ? Par-delà les spécificités propres à la chanson comme aux pratiques poétiques, à quelles porosités, combinaisons ou interférences leurs rapports variables peuvent-ils donner lieu ? A plus d'un égard, c'est ce que la poésie "fait" à la chanson et ce que la chanson "fait" à la poésie qui sous-tend l'enquête. Il apparaît alors qu'interroger le "compagnonnage électrique" entre ces deux arts, c'est aussi déplacer ce qui fait aujourd'hui écran à leur saisie, tant ils semblent relever d'une position culturelle contraire : l'invisibilité médiatique de l'une — la poésie —, la surexposition de l'autre — la chanson.