Né en 1894 à Brody, petite ville de Galicie alors proche de la frontière russe, Joseph Roth vécut la Première Guerre mondiale et la chute de l'Empire austro-hongrois comme une expérience dévastatrice. Il fit ses débuts comme journaliste à Vienne et à Berlin et s'impose par son talent d'observateur lucide et précis. Dans son oeuvre de romancier, dont les sommets sont La Marche de Radetzky (1932) et La Crypte des capucins (1938), il porte un regard aigu sur la Mitteleuropa et ses vestiges. En 1933, lorsque Hitler accèda à la Chancellerie du Reich, le diagnostic de Roth fut immédiat : "C'est l'Enfer qui prend le pouvoir", écrivit-il à Stefan Zweig. Ses livres furent brûlés et l'écrivain prit le chemin de l'exil. Réfugié à Paris où il trouva abri dans les hôtels et les cafés, il mourut à l'hôpital Necker le 27 mai 1939. Il n'avait que 45 ans mais était déjà physiquement et moralement détruit par la tristesse et par l'alcool. Le grand art du récit dont il fit preuve, la finesse et la clairvoyance de son regard, l'empathie qu'il éprouvait pour les êtres, aussi humbles et modestes fussent-ils, son courage civique et son esprit de résistance qui le portèrent à s'élever contre l'antisémitisme et le nationalisme obtus, son combat de tous les instants contre le nazisme, voilà quelques-uns des traits fondamentaux qui font que Joseph Roth demeure un écrivain qu'on ne saurait aborder avec indifférence et qui parle aujourd'hui encore à notre sensibilité. Thomas Mann n'hésitait pas à reconnaître en Adalbert Stifter (1805-1868) "l'un des narrateurs les plus étranges, les plus énigmatiques, les plus secrètement audacieux et les plus fascinants de la littérature mondiale". Admiré par Nietzsche, Kafka, Robert Walser ou encore Michel Foucault —mais détesté par Thomas Bernhard—, Stifter ne fut pas seulement un incomparable chantre de la nature. En tissant un dense réseau de connexions entre la réalité subjectivement limitée des personnages et l'univers des possibles qui s'ouvre au-delà de leurs paroles, ses nouvelles et ses romans aspirent à la fois à se poser comme forme accomplie et à rendre compte de l'insaisissable fluidité de la vie.