Aux ruptures historiques majeures, les individus répondent de différentes façons : trauma ou déni, oubli ou engagement social ; leurs attitudes varient en fonction des générations, peuples, religions. Cherchant à collecter traces et récits d'un passé jamais directement observé, l'anthropologie doit emprunter aux méthodes d'autres sciences sociales pour intégrer la dimension diachronique dans son analyse du présent. Mais comment transmettre l'expérience après une période de changement rapide à un tiers qui ne l'a pas partagée ? Sur des terrains particulièrement bouleversés par " l'histoire en train de se faire ", où s'effondrent les normes ordinaires, où s'impose un registre d'incertitude quant aux issues de la situation, l'anthropologue est amené à repenser la prise en compte du " temps ". De tels cas-limites, - guerres civiles, changements de régime, catastrophes naturelles, migrations, démolitions - sont donc " bons à penser " en ce qu'ils permettent de questionner la méthode ethnographique. Les exemples présentés dans cet ambitieux numéro d'Ethnologie française sont tirés de cas étudiés en Europe (Autriche, Roumanie, Moldavie, Roumanie, Biélorussie), mais aussi hors d'Europe (Svrie, Chine. Haïti, Liban). Identifier les cadres temporels qu'un ethnographe qui ne partage pas le vécu de ses interlocuteurs rencontre dans la collecte des données ; contourner les difficultés posées par le caractère indéfinissable du présent ; considérer les questions soulevées par le rapport de la biographie à l'histoire (ou la " conscience historique ") dans l'analyse des faits collectés ; questionner le récit qui est fait de discontinuités politiques entraînant des ruptures d'intelligibilité de la réalité sociale, tels sont quelques-uns des objectifs de cette livraison.