Au coeur des sciences sociales, le rôle du langage est considéré avec toujours plus d'attention. L'analyse des pratiques sémantiques soulève des enjeux marquants lorsqu'il est question de l'histoire et des mémoires des faits traumatiques du passé. Les mots désignant le mal au XXe siècle, c'est-à-dire les crimes de masse, les guerres, les dictatures, etc. , sont ainsi l'objet d'usages divers et parfois contradictoires qui ne parviennent pas toujours à produire de la clarté et de l'intelligibilité. Ce dossier évoque par conséquent ces usages et mésusages afin de proposer une réflexion sur les manières de mettre les mots au service d'une meilleure compréhension du passé plutôt qu'au service de sa manipulation et de son brouillage. L'importante question de la qualification des crimes de masse est examinée dans l'introduction de ce dossier, qui est loin d'être exhaustif (Charles Heimberg). D'autres mots du mal, d'autres manières d'évoquer le mal, sont ensuite abordés. C'est d'abord le cas du recours à la notion de "Moyen Age" pour désigner, en termes dépréciatifs, des phénomènes contemporains (Laurent Broche). Le terme "devoir de mémoire", censé contribuer à la prévention des retours du mal, se révèle fonctionner à la fois comme un remède et comme un poison (Sébastien Ledoux). L'usage des mots du mal est aussi affaire d'expériences et de points de vue. Ainsi en va-t-il des manières dont sont nommés les camps français subis par les républicains espagnols : qualifiés de camps de concentration, selon les termes de l'époque, dans la langue de leurs victimes et de camps d'internement du point de vue français, ce qui nécessite pour le moins des explications (Geneviève Dreyfus-Armand). Si le concept d'Hannah Arendt de "banalité du mal" a été forgé au moment du procès d'Adolf Eichmann, cette formule a été à la fois mal comprise dans l'espace public et pas suffisamment approfondie par son auteure. Elle ne fait pourtant plus partie des idées qui attirent le plus l'attention dans l'oeuvre arendtienne (Rémi Baudoui). C'est d'ailleurs aussi le cas avec le "totalitarisme", qui n'a guère rendu possible une appréhension complète de ce qu'ont été la société est-allemande et son histoire (Carol-Ann Bellefeuille). Enfin, partant du paradoxe entre la quête d'une compréhension des mécanismes du mal des années 1940 par Germaine Tillion et Geneviève De Gaulle-Anthonioz et la manière dont l'une et l'autre ont été célébrées par François Hollande au moment de leur entrée au Panthéon, il y a lieu de s'interroger sur les effets contre-productifs de la sidération et de la sacralisation des maux du passé, en particulier de la Shoah (Cécile Vast). Dans ce numéro, Jacques Aron revient également sur la publication récente des Journaux d'Alfred Rosenberg et l'examine d'un point de vue critique. Enfin, la chronique des enjeux d'histoire scolaire de Laurence De Cock et Charles Heimberg évoque des ouvrages d'histoire récents susceptibles d'inciter l'enseignement de l'histoire à retrouver les discontinuités du passé, défataliser l'histoire et dépasser les idées reçues.
Au coeur des sciences sociales, le rôle du langage est considéré avec toujours plus d'attention. Les mots désignant le mal au XXe siècle, c'est-à-dire les crimes de masse, les guerres, les dictatures, etc. , sont l'objet d'usages divers, contradictoires, sans déboucher dans tous les cas sur de la clarté et de l'intelligibilité. Ce dossier évoque...