Le précédent numéro spécial de Critique consacré au Japon s'intitulait "Dans le bain japonais". Il remonte à 1983. Un ministre français venait d'arrêter les magnétoscopes nippons à Poitiers ; le PIB du Japon croissait régulièrement et le pays préparait la très high tech exposition universelle de Tsukuba. Nous ne sommes plus dans le même bain : le PIB, en 2016, a frôlé la croissance zéro ; le taux de natalité est un des plus faibles du monde et nos gazettes s'interrogent, non plus sur les prouesses de l'électronique japonaise, mais sur une abstinence sexuelle qui se répandrait même dans la jeunesse de l'archipel. S'il semble prématuré de parler de crise du "modèle japonais" à propos de la troisième économie mondiale, le moment paraît propice à une réflexion sur cette "Modernité japonaise" qui fit longtemps référence pour d'autres pays. Le Japon issu de la Restauration de Meiji a souvent été décrit comme un mélange de "modernité" (occidentale) et de "tradition" (autochtone). Mais il a inventé sa propre grammaire du moderne, que des travaux récents et novateurs nous aident à déchiffrer. Le dossier ici rassemblé par Emmanuel Lozerand court des années 1860 aux années 1960, avec pour fil cette question : comment le Japon est-il devenu moderne ? Il s'ouvre sur un texte inédit en français qu'Ôe Kenzaburô, prix Nobel de littérature, a consacré à Masaoka Shiki, l'homme "effroyablement démocratique" qui a réformé le haiku à la fin du XIXe siècle.