Lévi-Strauss s'explique rudement, dans les premières pages de Tristes tropiques, avec la philosophie, en particulier avec celle qu'il a apprise à la Sorbonne. Celle-ci se résume pour lui à des "exercices verbaux", "fondés sur un art du calembour" ; à une "contemplation esthétique de la conscience par elle-même", où "le savoir-faire remplacerait le goût de la vérité". Il y renonce donc dès qu'on lui propose, en 1935 une mission au Brésil. Tout au long de son oeuvre, il lancera des flèches acerbes contre la philosophie, en particulier celle du sujet, lequel est qualifié "d'insupportable enfant gâté qui a trop longtemps occupé la scène philosophique" . D'où son opposition radicale avec Sartre. Mais on ne saurait s'en tenir là. Il y a aussi chez lui des références philosophiques dominantes. Il dit à maintes reprises sa dette, et celle de l'anthropologie tout entière, à l'égard de Montaigne et de Rousseau, mais aussi, à d'autres égards, à l'égard de Marx et de Freud. Mieux, l'immense matériau mythologique qu'il a étudié est sous-tendu par des interrogations philosophiques qu'il convient de mettre en évidence : une épistémologie et une esthétique qui ne resteront pas sans portée éthique et politique. C'est ce rapport ambivalent à la philosophie qui est au centre des études qui composent cette livraison de Cités.