Partant d'enquêtes empiriques, et usant des concepts développés dans les champs historique et anthropologique comme d'une " boîte à outils " théorique, ce numéro témoigne de la vitalité des mémoires dans le présent des sociétés de l'Afrique au sud du Sahara et des Antilles. Les contributions rassemblées éclairent ce que les enjeux qui se nouent autour des pratiques différenciées de la mémoire nous disent des dynamiques sociales et politiques dans les contextes spécifiques où elles se déploient. En raison d'un jeu incessant de va-et-vient entre passe et présent, les mémoires fonctionnent comme des palimpsestes sur lesquels se réécrivent les représentations des nouveaux épisodes du passé sur les traces d'anciens récits à moitié effacés. Au final, des narrations du passé liées à des temporalités différentes se mêlent dans un même espace mémoriel. On constate que, sous la forme d'appels à des mémoires dites détournées, bafouées, méprisées, ou encore effacées, le passé est de plus en plus fréquemment convoqué à des fins de reconnaissance sociale et de demande de réparations, souvent couplées à des tentatives de légitimation politique. Toutefois, des mémoires plus anonymes se transmettent et se reconstruisent aussi dans l'intimité des familles et des collectifs restreints constitués par des réseaux d'acteurs liés par le partage d'une même expérience historique. Qu'elles soient hautement visibles ou qu'elles se transmettent clandestinement, risquant parfois de tomber dans l'oubli, les mémoires postcoloniales collectives restent inséparables des modes de circulation et d'usage du pouvoir dans les espaces sociopolitiques considérés. Ces mémoires politisées sont constituantes des moralités politiques.