L'intérêt que suscite l'islam aujourd'hui dans les recherches en sciences sociales et historiques porte principalement sur l'islam politique, dans ses versions radicales, et privilégie l'aspiration à des pratiques cultuelles " pures " libérées des pesanteurs des cultures locales. Depuis la colonisation européenne des sociétés musulmanes, beaucoup d'études ont été consacrées aux pratiques dites populaires des confréries soufi (les " turuq ", singulier " tarîqa "), à leurs complots et rébellions, réels et supposés contre l'état colonial, ou à leur collaboration avec ce même état. Les élites des nouveaux états indépendants ont tout fait pour marginaliser ces lieux complices de l'ordre colonial et contraires à tous les idéaux de rationalité et de progrès. Beaucoup de spécialistes ont conclu à la fin de cet islam confrérique au profit d'un islam moderne réformé. Or il n'en est rien. Non seulement les confréries ne disparaissent pas, mais elles se revigorent en s'adaptant au monde moderne, aussi bien sur le plan doctrinal que sur celui de l'organisation. Les pays de grande tradition soufie, de l'Inde et du Pakistan, de l'Egypte et de l'Afrique, en passant par les Balkans, témoignent de traditions confrériques modernes d'une vitalité remarquable nourrie d'une multiplicité de sources et d'emprunts. Les réveils religieux du néo-soufisme ont leurs lieux d'ancrage populaires mais aussi leurs réseaux transnationaux. Le retour à la tradition mystique, autant que le souci de réforme des pratiques, est au fondement d'un prosélytisme actif qui encourage les conversions.