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Samuel Beckett se méfie comme de la peste du sens ajouté ou soustrait qui nourrit bien des systèmes à croire ou à penser. C'est pourquoi il s'en est pris avec force aux docteurs : ils n'en finissent pas, selon lui, de s'affronter dans des joutes d'autant plus stériles que la parole a fait place, chez eux, au ronronnement d'un discours clos sur lui-même. Pour rendre à nouveau possible la rencontre qui suppose que l'on puisse attendre pour entendre, l'auteur d'En attendant Godot a dénoncé, plus encore que les abus du langage, le langage comme abus. " J'erre donc je suis " (traduction en ce sens précis de la formule errare humanum est), le clochard beckettien est l'incarnation pathétique de celui qui fait l'épreuve de la vanité du divertissement qu'est encore le langage lorsqu'il n'est plus que " soûlerie sémantique ". Le Dieu " pro-féré ", c'est-à-dire mis dehors parce que " nommé ", redevient étrangement proche aux instants où le silence de l'impuissance à dire et à nommer vient relayer le bruit de la prétention à les vouloir. C'est dans ce vide du " maximum lorsque presque " que celui qui n'était plus que " II " crie qu'il est " Tu ". Convaincu qu'" il faut de l'ombre pour voir clair " - comme le dit aussi le regard d'oiseau de proie de Sam l'Irlandais -, Samuel Beckett, metteur en scène de l'effacement, n'a pas préféré la gomme au crayon ; il a utilisé le " crayon-gomme " sous la forme de cette manière particulière de dire qu'est chez lui le calembour : ce qui est dit y est aussitôt annulé, échappant ainsi aux mots au moment où ceux-ci allaient le retenir.
Jean van der Hoeden, né en 1940, philosophe et enseignant à l'Institut saint-Louis de Bruxelles, s'intéresse depuis plus de vingt ans à l'œuvre de Samuel Beckett.