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La raison et la civilisation ont été longtemps associées comme le moyen et la fin de ce qu'on appelait naguère le progrès. Mais après les désillusions du siècle dernier, et malgré quelques courtes périodes d'optimisme, ces idées ont perdu une grande partie de leur crédibilité : l'état actuel du monde, avec ses incroyables contrastes en termes de richesses et de souffrance, suffit en effet à faire douter que la civilisation rationnelle soit un bien pour l'humanité. Le problème est cependant qu'il n'y a pas vraiment d'alternative à ce projet, car ceux qui prônent le libéralisme économique et politique aussi bien que ceux qui le dénoncent le font au nom d'une certaine conception de la civilisation rationnelle. C'est ce constat qui rend urgente une réflexion sur le sens moral de la civilisation dans les conditions du monde social contemporain, celles d'un nouvel âge libéral marqué par des concurrences extrêmes, mais aussi par une immense créativité et par une extraordinaire émancipation vis-à-vis de tous les tabous arbitraires. Pour mener cette réflexion, le présent ouvrage propose de se fonder à la fois sur quelques principes réalistes : le monde tel qu'il est n'est voulu par personne, les cultures humaines restent ancrées dans les mécanismes naturels de la vie, le travail civilisationnel de la raison ne peut être que marginal et progressif..., mais aussi sur une confiance ferme et renouvelée dans le rôle moral de la raison réflexive, la possibilité de proscrire et de faire reculer les souffrances indues et la liberté d'agir pour le mieux, que la question relève ou non de la morale.
Patrick Pharo, sociologue, est directeur de recherche au CNRS, professeur associé à l'université Paris- V René Descartes et membre du Centre de recherche Sens Ethique Société (CERSES).