La littérature a fait de la jalousie un de ses paysages privilégiés. On sait ses signes, ses rites, sa dramaturgie. De faible ou forte teneur, son feu mental, sa misère morale sont balisés : amour jeté en pâture, rivalité, fiel, amertume, frénésie de la possession, chaux vive de l'envie. Carte du Tendre griffé en éros fauconnier. Or, sans manquer à telle cartographie, les oeuvres lues ici obligent leur lecteur à sortir des sentiers battus.
En leurs pages, se crayonnent des territoires puissants, mystérieux, entre eux si peu appariables, où l'innocence le dispute à la perversité, où, infaillible, l'intelligence scrute chaque faute de l'esprit, ouvre à sang la vanité humaine. Tous pourtant, ces écrivains, - Madame de La Fayette, Bataille, Leiris, Michon, Quignard - sont de même espèce : Preux de l'absolu, Pur-sang de l'âme, Coursiers de la chair.
Ils aiment ; massacrent ce qu'ils aiment. S'affairent à styler le leurre d'une rivalité qu'ils veulent miroir de vérité, perpétuent contre eux-mêmes une inlassable vendetta. En nihilistes ardents, ils bataillent contre le néant qu'ils prisent au plus haut. Rejetons modernes de la Déception courtoise, ils savent tout du désir qui trahit, manque son objet à l'instant où il croit le saisir. Aussi, entre masques et aveux, orgueil, humiliation, se hâtent-ils de jeter sur l'amour l'ombre qui le fera mourir, diffament son Bien comme pour le sauvegarder, en défendre le secret, le protéger du Temps qui préempte sa cause.
La jalousie, c'est l'oeil de trop, l'oeil d'excès propre à leur écriture. L'oeil qui tente d'aveugler l'infini du désir, irradie ce chagrin de la limite, lequel, versé à cette illimitation qu'est la littérature, donne à la vie son air de légende, à la création, son prestige.