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Dès sa naissance à l'âge classique, l'opinion publique est ambivalente. Est-ce une erreur populaire ou une vérité publique ? Une
antique rumeur, une clameur ou bien une clarté, une rationalité nouvelle ? A la lecture des textes, le phénomène apparemment unitaire se fragmente en deux figures gémellaires et antinomiques l'opinion populaire et l'opinion publique. La première s'observe avec dégoût ; on rêve à la seconde avec délice. Mais jamais l'une
sans l'autre : pas de lumière sans ombre, pas de parole sans silence. Pas d'opinion publique sans opinion populaire sur laquelle s'opère, par reniements successifs, la conversion philosophique du peuple en public. Fuir toujours davantage la réalité de la foule pour orner
l'opinion des charmes de l'idée : tel aura été le grand œuvre des philosophes soucieux de mettre cette idée au service des idées. Idée historique et morale, puis politique, l'opinion publique est
avant tout une notion philosophique façonnée à la mesure du rôle que les philosophes prétendent jouer dans la société d'Ancien Régime. D'autres voix s'élèvent pour opposer à l'inertie et à la docilité d'un public assujetti à la férule philosophique l'image contraire d'un génie national et d'une force intrinsèque.