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Qui n'a pas au moins une fois entendu le récit caricaturé de ces médecins éclairés du XIXe siècle, les Broussais, les Bouillaud, saignant leurs malades hardiment, héroïquement, à outrance, et, à nos yeux, contre toute raison ? Ce livre voudrait, non pas nier ces faits, mais les replacer dans le contexte médical des XVIIIe et XIXe siècles, époque de grandes avancées pour la médecine et la chirurgie, mais aussi - et sans contradiction apparente - époque conservatoire de l'art de guérir et de ses traditions. La saignée est au cœur de ce double mouvement. Le dépérissement de la médecine des humeurs ne fait pas disparaître, au contraire, cette idée qu'il y aurait chez la femme, mais aussi chez l'homme et chez l'enfant, une fonction hémorragique naturelle et curative dont la saignée ne serait qu'un substitut. Quant à la découverte de la circulation du sang par William Harvey en 1628, loin de décourager le coup de lancette, elle en multiplie les indications. La saignée est indiquée pour ralentir un flux trop fougueux, pour faire baisser une fièvre, pour diminuer les forces du mal ; elle est recommandée aussi pour réamorcer un flux entravé, pour désengorger un vaisseau, pour ranimer la flamme curative. Dire que l'hématologie scientifique a eu raison de ces représentations métaphoriques de la circulation et du corps est juste mais insuffisant. Ce sont aussi les bouleversements dans la conception des maladies, l'érosion des théories unitaires de l'organisme, qui sont à l'origine de la quasi disparition de la pratique de la saignée aujourd'hui.
Historienne, docteur de l'école des hautes études en sciences sociales, Chantal Beauchamp est l'auteur de " Délivrez-nous du mal ! Epidémies, endémies, médecine et hygiène au XIXe siècle " (Hérault, 1991).