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Ne pas se soumettre à ce qui est – tel est le programme de la Théorie critique, à la différence du positivisme. Pour que ce défi ne reste pas un voeu pieux, il faut d'abord réfléchir aux conditions qui permettent la connaissance de la réalité sociale. C'est dire la place centrale qu'occupent, dans l'école de Francfort, les sciences sociales. Exprimer la réalité sociale dans ses dimensions multiples, c'est pour Adorno la vocation commune de la sociologie et de la psychanalyse. Sciences de la société, l'une et l'autre doivent contribuer à la connaissance de la réalité capitaliste moderne ; elles sont de surcroît, dans la pratique théorique d'Adorno, un objet de réflexion et de critique majeur. Les textes réunis ici montrent, contrairement à la légende, qu'Adorno n'a jamais répudié les sciences sociales pour se réfugier dans la tour d'ivoire d'une Théorie coupée de la pratique. Ils permettent au contraire de prendre la mesure de l'ambition de chacune de ses interventions : contribuer à la constitution d'une sociologie capable à la fois d'appréhender le réel et d'en produire la critique radicale. L'élaboration de cette sociologie critique implique un travail de reprise et de refonte des catégories classiques et des méthodes des sciences sociales. Dans ce conflit des sociologies, Adorno élabore une conjonction spécifique de la philosophie et de la sociologie destinée à produire des concepts constructifs orientés vers une réalité autre. Cet engagement est politique. Loin de considérer les sciences sociales comme neutres, Adorno les conçoit chargées de porter des projets pour une vie juste. Pour faire apparaître les politiques des sciences sociales, Adorno n'hésite pas à descendre dans l'arène et à prendre parti dans des polémiques qui semblent, à première vue, ne concerner que l'épistémologie. Il met en lumière les enjeux politiques cachés et soumet à la critique l'aveuglement des sciences sociales, incapables de formuler leur engagement dans la vie de la société. A cette condition, la sociologie contribue aux côtés de l'art de la philosophie à l'autocompréhension des sociétés modernes. Dans sa lutte pour une sociologie critique qui se nourrit d'une critique de la sociologie, Adorno se montre convaincu que "ce n'est pas seulement la théorie, mais aussi son absence qui devient une puissance matérielle dès qu'elle saisit les masses."