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Jacques Rancière interroge ici le projet qui sous-tend l'émergence de la "littérature" par opposition à la définition classique et normative des belles-lettres. Avec cet avènement qui coïncide peu ou prou avec le romantisme, se défont les privilèges de la représentation : au primat de la fiction s'oppose le primat du langage, à la hiérarchie des genres, l'égale dignité des sujets représentés, à la parole en acte, le modèle de l'écriture. Se démarquant à la fois de la critique de Sartre qui récuse les jeux formels avec le langage au nom de l'engagement, et des lectures de Blanchot qui souscrit à une vision quasi mystique de la littérature, Jacques Rancière propose une interprétation nouvelle de cette mutation. La contradiction qui traverse "littérature" rencontre en effet le défi d'une parole démocratique qui s'émancipe des règles codifiant son usage. A la fois tentation aristocratique et visions d'une communauté à venir, la littérature est cette contradiction, cette "parole muette". Il n'y a pas d'autre vie spirituelle, pas d'autre royaume des oeuvres que la coulée infinie de l'encre sur l'aplat des pages, que le corps incorporel de la lettre errante qui s'en va parler à la multitude sans visage des lecteurs de livres.