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La perception ordinaire, celle de l'oeil en situation, toujours
mobile et affecté, avance à tâtons et se ménage
progressivement un espace en multipliant différentes vues du
monde, non superposables et disjointes. A l'inverse, il semble
que l'objectif de la caméra capte une représentation stable,
déployée et à distance, un objet entièrement offert au regard
souverain du spectateur. Toutefois, opposer ainsi le naturel de
l'oeil au mécanisme objectivant de l'objectif serait méconnaître
cette alchimie particulière d'art et de science qui opère dans
une véritable oeuvre cinématographique. Le style d'un cinéaste
devra être, par et malgré le dispositif d'enregistrement, une
question non pas d'optique mais de perception. A charge alors
aux théories perceptives d'en rendre compte, et à notre étude
de justifier, de développer et de limiter la pertinence d'une
psychologie de l'art cinématographique. Dans quelle mesure la
psychologie de la perception est-elle susceptible d'éclairer le
style cinématographique ? Et, à l'inverse, le cinéma a-t-il pu
faire évoluer les conceptions de l'acte perceptif ? En un
surprenant parallélisme, théories perceptives et styles
cinématographiques semblent rejouer le même drame, qui
tantôt assimile et tantôt distingue l'oeil et l'objectif.
Ancienne élève de l'ENS de la rue d'Ulm, agrégée et docteur,
Clélia Zernik est professeur de philosophie de l'art à l'Ecole
nationale supérieure des Beaux-arts de Paris.