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Depuis trente ans, plusieurs grands romans latino-américains nous ont décrit par le menu le monde hallucinant de la dictature "à l'américaine" : délation, exactions de tous ordres, assassinats, extermination même, bestialité, cupidité, abus sexuels, protections étrangères, soif maladive de pouvoir que finalement la solitude transforme en frustration. Cette réalité tragique, nous la retrouvons tout au long du dernier roman de Garcia Marquez, mais sous la plume de l'auteur de {Cent ans de solitude} elle prend une dimension burlesque incomparable. Le patriarche est ici un dictateur dans la grande tradition de l'Amérique latine. C'est un vieux général qui a "entre 107 et 232 ans". Tyran méfiant et délirant, les structures minables de son pays arriéré le vouent à des aventures cauchemardesques que l'imagination non moins délirante de Gabriel Garcia Marquez transforme en folles équipées drolatiques. Un jour les charognards s'abattent sur les balcons du palais présidentiel, détruisant à coups de bec le grillage des fenêtres, et les assiégeants du palais se décident alors à investir la forteresse. Surprise : les portes blindées sautent hors de leurs gonds dès la première poussée et le peuple en révolte découvre avec stupeur le mystère de la résidence où se retranche depuis un temps immémorial le dictateur : armes à l'abandon dans les cours, puanteur des latrines, linge pourri au soleil devant les baraques des servantes concubines, carcasses de vaches rongées par les vers dans les salons et vaches vivantes sur les balcons... Plus loin, "allongé sur le sol, à plat ventre, le bras droit replié sous la tête pour lui servir d'oreiller, tel qu'il avait dormi nuit après nuit toutes les nuits de sa très longue vie de tyran solitaire", le cadavre du dictateur. Cocasserie, jaillissement incessant de trouvailles, ruissellements de mots qui brillent comme d'insolites pierres précieuses, on retrouve dans {l'Automne du Patriarche} toute la magie de {Cent ans de solitude}.