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Le point de départ de cet ouvrage tient à un étonnement : que signifie, sous la plume de Bayle, l'adjectif "épicurien", lorsqu'il se trouve appliqué, tour à tour, à des penseurs aussi différents que Pascal ou Malebranche ? Comment comprendre que l'augustinisme extrême puisse rejoindre, aux yeux de Bayle, l'épicurisme ? La critique méconnaît le plus souvent la portée de ces remarques de Bayle, en les considérant comme superficielles, soit que Bayle mésentendrait le sens des différents systèmes de pensée, soit qu'il chercherait, une fois n'est pas coutume, l'objection pour l'objection, la pars destruens de la raison, derrière un sourire ironique affiché et retenu par notre tradition scolaire. Notre parti est tout au contraire de prendre au sérieux la pratique de l'"application" à laquelle Bayle se livre — et qu'il théorise par ailleurs comme un acte d'interprétation des textes : si l'affinité entre épicurisme et augustinisme répugne à nos classifications historiographiques, force est de constater pourtant qu'elle fait bien sens au sein de la République des Lettres. Cette affinité repose sur la notion de plaisir, dont Bayle montre qu'elle est au coeur des anthropologies augustinienne et épicurienne. Il en décline tour à tour les conséquences morale, théologique, spirituelle, politique et épistémologique, jusqu'à récrire ce que l'on peut considérer comme un dialogue entre Augustin et Epicure, dialogue qui n'a pas été véritablement institué à ses yeux. Il en résulte que les idées d'Epicure lui paraissent beaucoup plus "proportionnées" à l'état de l'homme tel qu'il est.