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« Avez-vous déjà observé une porte ? Il en est des neuves et des anciennes, des légères ou des lourdes, des massives, des vitrées, des basses, des gigantesques. Il en est qui claquent, virevoltent à grand bruit, d’autres qui grincent, ou encore se referment sans un bruit. Qu’on s’y frotte, qu’on s’y cogne ou qu’on y tambourine, notre vie n’a jamais pour but que de les franchir. Certaines nous font entrevoir au loin des joies insensées, et se ferment à nous, nous emprisonnent : ce sont les portes malheurs ; d’autres, sous des dehors indociles, s’ouvrent avec grâce, nous libèrent : elles sont nos portes bonheurs. Nous avons soudain la clef en main, et découvrons que c’est la clef d’ut, la clef de sol, la clef des songes, la clef des champs… Mais un jour vient où cela s’arrête, où la vie fout le camp. On met ses pas dans ses propres traces, ce qu’il y avait autrefois de si mystérieux derrière le seuil n’a plus de secret pour nous. Alors on se rappelle ce temps béni ou l’on enfonçait des portes ouvertes, par simple fierté, pour le plaisir d’émerger de l’ombre, et la saveur de ce moment nous vient comme un doux regret. Car les obstacles se sont enfuis et nous manquent. Verrouillées hier, les portes ont déployé leurs deux battants, le parcours est semé de roses et tressé de lauriers. C’est qu’il est temps de partir, même si quitter n’est pas un mot que l’on aime. J’ai vécu ma vie de seuil en seuil, abandonnant le vestibule de l’ignorance pour pénétrer dans l’antre du savoir, celui des coulisses pour entrer en scène, celui de la pauvreté pour enfin « m’en sortir », jamais satisfait, sans cesse idéaliste, toujours confronté à une porte plus haute, plus épaisse, prétendument infranchissable, et la franchissant. De l’ombre à la lumière, il n’y avait donc qu’un pas, mais ce pas-là, il a été l’affaire de toute mon existence ».