Pour François Mauriac, alors jeune romancier que Genitrix (1923) avait fait connaître, La Nouvelle Revue française était, comme il l'affirma, " son évangile ". Jean Paulhan, qui venait, en 1925, d'en être nommé le rédacteur en chef, maintint et renforça le lien avec l'écrivain, créé par Jacques Rivière. Mais il ne se priva pas de lui faire sentir que La NRF ne serait jamais, pour lui, un lieu sûr ou acquis : dès 1928, André Gide, qui multiplie les flèches contre la religion dans son journal, reproche à François Mauriac d'" aimer Dieu sans perdre de vue Mammon " ; en 1930, Jean Prévost et Marcel Arland ne sont pas tendres envers ses livres dont ils ont à rendre compte... En février 1939 enfin, à l'instigation certainement de Jean Paulhan, Jean-Paul Sartre l'attaque de front : " Dieu n'est pas un artiste ; M. Mauriac non plus. " La Résistance, dans laquelle ils s'engagent tous deux, en compagnie de leur ami commun Jean Blanzat, les rapproche, les rendant presque complices. Dans la lutte contre les excès de l'Épuration, ils sont également du même bord, malgré quelques différends ponctuels. Mais en janvier 1953, La NRF, compromise sous l'Occupation par Pierre Drieu La Rochelle, renaît de ses cendres sous la direction de Jean Paulhan et Marcel Arland : Mauriac, devenu le codirecteur de La Table ronde, s'en indigne, raillant " cette chère vieille dame tondue, dont les cheveux ont mis huit ans à repousser "... La dernière décennie de leur correspondance, plus clairsemée, mêle la politique, en particulier la guerre d'Algérie, la littérature érotique et la troublante réalité de la foi - cet axe central de François Mauriac -, que Jean Paulhan ne cesse d'interroger ou de provoquer, dès ses premières lettres. Malgré des goûts littéraires divergents, des convictions politiques et religieuses souvent opposées, leur conversation est vraiment celle de deux " esprits libres et cœurs sensibles ". Elle prend fin en 1967, un an avant la mort de Jean Paulhan, trois ans avant celle de François Mauriac.