L'étranger est par essence louche, suspect, imprévisible, retors, de taille à commettre des avanies, même s'il survit dans le plus profond dénuement, s'il souffre de la faim, du froid, qu'il n'a pas de toit pour se protéger. L'étranger, homme, femme ou enfant, représente toujours un danger, qu'il faut combattre à tout prix. La loi dispose que " toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger en France " encourt jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
Cette sanction pénale est réservée aux " aidants " désintéressés, animés par le seul élan d'humanité et de dignité vis-à-vis d'eux-mêmes et de ceux voués à tout juste subsister. Ils ont choisi, en connaissance de cause, de commettre ce qu'on appelle le " délit de solidarité " ou " d'hospitalité ". Des expressions devenues familières, dans leur obscénité, depuis qu'on a vu traduits devant les tribunaux des " désobéissants ", paysans, professeurs, élus municipaux, citoyens bienfaisants coupables d'avoir, sans contrepartie d'aucune sorte, secouru, protégé, rendu service à des hommes, femmes et enfants qui n'avaient pas l'autorisation de fouler la terre française.
Les élections présidentielle et législatives en France ont fourni l'occasion d'une chasse aux désobéissants, comme si la majorité des candidats s'étaient accordés pour rassurer l'opinion en la sommant de collaborer : la France ne laissera pas entrer chez elle des hordes de réfugiés, de migrants si menaçants. Chaque jour a apporté son nouveau délinquant, lequel n'a pas désarmé, il est entré en résistance.
Il offre le gîte, le couvert, la circulation à des exilés miséreux, il est capturé par des policiers, punit par des magistrats... et il recommence, parce que l'hospitalité et la solidarité ne sont pas une faveur mais un droit, un devoir et qu'il aime accomplir ce devoir-là. Des écrivains ont accepté avec enthousiasme d'écrire, à leur guise, dans une nouvelle, fiction ou rêverie, leur respect pour ces gens de bien, et leur inquiétude de voir agiter les spectres de graves menaces incarnés par des êtres humains réduits à peu de choses.
Pas seulement : c'est aussi vers l'Autre que va leur curiosité, l'Autre qui gagne toujours à être connu et non chassé. Enki Bilal dessine, des écrivains de talent s'expriment parmi lesquels Antoine Audouard, Kidi Bebey, Clément Caliari, Antonnella Cilento, Philippe Claudel, Fatou Diome, Jacques Jouet, Fabienne Kanor, Nathalie Kuperman, Jean-Marie Laclavetine, Christine Lapostolle, Gérard Lefort, Pascal Manoukian, Carole Martinez, Marta Morazzoni, Lucy Mushita, Nimrod, Serge Quadruppani, Serge Rezvani, Alain Schifres, Leïla Sebbar, François Taillandier, Ricardo Uztarroz, Anne Vallaeys, Angélique Villeneuve, Sigolène Vinson...
Journaliste, membre de l'équipe fondatrice de Libération, Béatrice Vallaeys est aujourd'hui directrice de collection aux éditions Don Quichotte.