1300 grammes et des poussières de neurones, de matière grise plissée : le cerveau cache bien sa complexité. Il fallait entreprendre un reportage intime pour découvrir cette "terre inconnue" de la connaissance. Résumé du monde, boîte à images, carrousel des émotions et des souvenirs, le cortex a libéré l'espèce humaine de sa condition animale. Si l'homme est un roseau pensant, s'il éprouve l'étrangeté de son destin, s'il a conscience d'être, il le doit à son cerveau parcouru de fluides et de courants électriques.
Grâce à l'imagerie moderne par résonance magnétique, il est possible d'observer "l'organe de la civilisation" au travail, parlant, calculant, retrouvant des fragments du passé ou formant des hypothèses pour l'avenir. Une surprenante cartographie se dessine, qui mêle les affects à l'intellect : un déficit d'émotions altère gravement la faculté de raisonner; la mémoire doit être "émue" pour conserver un souvenir. Le cortex a besoin d'être stimulé dès la naissance, comme en témoignent, a contrario, la tragédie des enfants sauvages incapables de langage, ou le regard "idiot" des aveugles-nés qui intrigua tant Diderot.
Ce voyage extraordinaire est une leçon de philosophie et de liberté : l'homme construit lui-même son cerveau sur les bases d'un programme général que l'expérience vient infléchir pour y apposer le sceau d'une destinée aussi personnelle, que des empreintes digitales. La machine cérébrale insère de l'histoire, l'histoire du moi, dans l'histoire du monde.
Éric Fottorino, trente-sept ans, est rédacteur en chef adjoint au journal Le Monde. Il est l'auteur de plusieurs essais et de trois romans, Rochelle (Fayard), Les Éphémères (Stock) et Coeur d'Afrique (Stock).