Le littérateur Anton Lizavine vient deux fois par semaine donner des cours à Netchaïsk, petite ville où se déroula la féerie de Prokhor Menchoutine. Nous retrouvons le chapeau du magicien au " musée " du père d'Anton, et sa fille, Cendrillon métamorphosée mais frappée de mutisme histérique, dans la demeure de Kostia le trompettiste, hurluberlu de province qui multiplie les inventions inutiles. Quant à Anton, il est déjà sur les traces du philosophe provincial, Milachévitch, qui deviendra le héros du troisième tome de cette trilogie. Au fond de chacun de nous se cache un rêve de " province " : nous vivons, tout comme Anton, à l'angle de la rue Nékrassov (la poésie) et de la rue Campanella (l'utopie). Anton développe sa philosophie en compagnie d'un rêveur un peu dérangé, Sivers, rencontré dans le train. Sivers lui dévoile l'existence d'une eau-de-vie qui fait disparaître des photographies ceux qui la boivent : une apothéose de la discrétion, quintessence même de la province... Entre la séance aux bains publics avec un petit journaliste énigmatique, l'enterrement de son père puis la lecture de ses archives, Anton se sent mis à nu et, devenu adulte, il commence à brûler de la tension qui est la vie vraie, la vie intense et cachée, celle de Netchaïsk. Ahasvérus met en scène le père de l'étudiant Sivers, vieux collectionneur de livres et grimoires, qui dialogue avec un acteur inquiétant. Le grimoire qu'ils examinent et dont ils lisent des bribes, mystérieuses comme la vie, est l'oeuvre du Juif errant, elle-même une errance d'écriture. " Heureux celui qui a des réserves d'éternité ", nous disent ces deux textes qui, sous couvert de conte, parlent d'art, de rêve et d'un certain code génétique du monde. Né en 1937, traducteur de Thomas Mann et d'autres auteurs allemands, Kharitonov est sorti sous les feux de la rampe avec l'attribution du premier Booker Prize russe, en décembre 1992. Déjà parus chez Fayard : Prokhor Menchoutine et la Mallette de Milachévitch.