" Au lycée, à Rostov-sur-le-Don, on m'appelle Solik, diminutif du mot sel en russe, mais je ne me rappelle plus pourquoi. Il y a, au vrai, quarante ans de cela, et j'ai beau me vanter de ma bonne mémoire, il lui arrive d'être défaillante. Pourtant, dès cette année scolaire 1940-1941, j'ai su que j'aurais un jour à raconter l'histoire de Solik. Cette idée ne m'a jamais quitté pendant les sept années que j'ai passées en Russie, dans l'armée, en prison, dans un camp, puis de nouveau à Rostov, à l'université et au travail. Comme un bon reporter, j'ai tout noté, mais seulement dans ma tête, me fiant uniquement à ce qu'elle retiendrait ; ce n'était pas une époque propice pour tenir un journal, même en polonais _ ce qui l'aurait théoriquement protégé des regards indiscrets _, dans cette ville où l'on ne parlait que le russe. Mais je ne pouvais prévoir que j'écrirais cette histoire quarante ans après et, de surcroît, en français, cette langue des aristocrates qui émaille les pages de Tolstoï et qui, à Rostov, m'obligeait à rechercher la traduction de certains mots au bas des pages ou dans les appendices. Je vais cependant faire de mon mieux, en sollicitant ma mémoire, pour raconter, à travers Solik, ce monde soviétique qui tour à tour intrigue, séduit et inquiète tant de gens. " K. -S. KAROL, né en Pologne en 1924, l'un des journalistes les mieux informés sur les problèmes du communisme dans le monde actuel. Rédacteur à L'Express de 1953 à 1964, il est collaborateur du Nouvel Observateur, depuis sa fondation, avec le titre d'éditorialiste.