Pourquoi le roman ? En posant cette question au seuil de son livre, Marthe Robert installe d'emblée son lecteur au coeur d'un des problèmes les plus mystérieux de toute la littérature. Quelle est la force obscure qui pousse les hommes à raconter des histoires ? Aucune des définitions données jusqu'à présent pour expliquer un genre à la fois si universel et si disparate n'étant satisfaisante, Marthe Robert prend pour point de départ le texte célèbre de Freud sur " le roman familial des névrosés " pour démontrer - avec des arguments purement littéraires - que tout roman a pour origine le même besoin de bousculer l'ordre des choses, de changer la vie, qui entraîne le petit enfant à se rêver des parents imaginaires meilleurs, plus forts et plus beaux que sa famille réelle. Du conte de fées et du feuilleton populaire aux plus hautes créations littéraires, le héros romanesque est toujours soit l'Enfant trouvé, qui refait le monde à sa guise, soit le Bâtard, qui cherche à imposer sa volonté au monde. Ou plutôt, l'Enfant trouvé et le Bâtard sont indissolublement liés dans toute figure romanesque, car ils reflètent les deux exigences contradictoires mais simultanées du romancier, l'exigence " romantique " et l'exigence " réaliste ", la nostalgie du Paradis perdu et l'ambition conquérante. Selon que l'une ou l'autre de ces exigences se montre la plus forte, on a soit les romanciers de " l'autre côté ", les Cervantès et les Defoe, soit les romanciers de " tranches de vie ", les Balzac et les Flaubert, mais tous, quels qu'ils soient, secrètement écartelés entre le refus scandalisé du monde et le désir d'un bouleversement réparateur. Ce résumé très grossier ne saurait rendre l'admirable complexité des analyses de Marthe Robert. C'est tout le paysage romanesque qui change insensiblement sous nos yeux, une nouvelle histoire du roman qui s'écrit, une nouvelle méditation sur l'éternel rêve humain qui se poursuit sans faiblir dans ces pages.