Je n'aurais pas écrit ce livre de bord, à la fois intime et professionnel, si je n'y avais été engagé par la lecture d'une lettre reçue au sujet d'un ouvrage précédent ({Journal d'un journaliste}) : "On ne peut dire mieux que la couverture, c'est le journal d'un honnête homme du XXe siècle. En ajoutant néanmoins que la distance dont vous parlez s'applique aussi, curieusement, au domaine de poésie qui oriente vos notations. Vous lui donnez la proximité des lavis chinois, qui semblent protéger ce qu'ils figurent, en exprimer l'éphémère par un autre éphémère, celui de l'art, qui le métamorphose au passage. Ceux qui ne voient dans vos souvenirs que ceux d'un homme d'esprit me semblent les comprendre assez mal". Signé : André Malraux. Mon récit d'aujourd'hui commence à l'époque de l'omnibus à trois chevaux "Madeleine-Bastille" mais n'est empreint d'aucune nostalgie pleurnicharde. Mon passé mort est bien vivant pour moi et je le revis chaque matin. L'anecdote me sert à traduire les temps forts de mon enfance et de mon âge adulte, à évoquer de nombreux grands bonshommes avec qui j'ai fait un brin de chemin, de Montherlant au magnat de presse Jean Prouvost, de Mauriac au président Roosevelt, etc. "Venons-en au sérieux, à l'anecdote", déclarait un monsieur qui n'avait rien d'un plaisantin, Hippolyte Taine.