Nietzsche a découvert un continent, celui de la Volonté de Puissance - et nous l'avons perdu. Délibérément, consciencieusement perdu, avec un acharnement à la mesure de l'effroi qu'il nous inspire. Car nous n'aimons pas savoir qui nous sommes, nous n'aimons pas marcher à visage découvert, la poitrine nue, vêtus de notre seul courage ; en bons pharisiens, en bons démocrates, en bons hypocrites, nous nous glissons le long des murs, furtivement, le dogme dans la ceinture, pour assassiner à coups de morale, de religion ou de philosophie les hommes exceptionnels, les héros de la pensée, les Argonautes de l'avenir. Nous voulons la bonne, la confortable chaleur du troupeau et nous bêlons de peur sous la cruelle et impitoyable lumière de Nietzsche. Pareils à de vieux hiboux dépenaillés, nous clignons des yeux, dérangés dans notre nocturne retraite. L'Homme suppose un être qui n'existe pas encore, mais qui est la fin de son existence.