Dans le livre III de son poème De la nature, Lucrèce explique ce qu'est l'âme. Selon la thèse épicurienne : la totalité du monde et des événements qui s'y déroulent peuvent se comprendre entièrement à partir de deux principes : le vide et les atomes invisibles qui constituent les composants ultimes de tous les corps visibles. C'est le texte le plus long et le plus cohérent que nous possédions sur la représentation épicurienne de l'âme et de son rapport au corps. Il nous permet de comprendre la plus audacieuse tentative philosophique de l'Antiquité pour penser l'âme de façon matérialiste - c'est-à-dire comme un corps -, et pour penser ce que doivent être les caractéristiques des corps pour que quelque chose comme l'âme - c'est-à-dire un principe de la sensibilité, de la vie et de la pensée - soit possible. Autant dire que, sur cette question, c'est toute la signification de la pensée épicurienne qui est en jeu. A ce titre, elle s'oppose presque terme à terme à une autre tradition, dominante : celle que l'on trouve par exemple incarnée dans le Phédon de Platon. La théorie de l'âme ne sert pas seulement à écarter la crainte de la mort. Elle se fonde sur une théorie du désir et de l'identité. Celle-ci est présupposée dans tout le raisonnement du livre III ; elle apparaît enfin pour elle-même dans les deux cents derniers vers. C'est elle qui donne son sens à tout le reste de la démonstration et fait que la théorie de l'âme n'est pas réductible seulement à une morale ou à une thérapeutique.
Pierre-François Moreau enseigne la philosophie à l'ENSLSH. Co-directeur de la collection " Philosophies ", il dirige aux PUF l'édition des œuvres complètes de Spinoza.