Il prétend s'appeler Jean Ruiz et exercer la charge d'Archiprêtre dans l'Archevêché de Tolède. Il est clerc jusqu'au bout des ongles, conscient des responsabilités qui en découlent mais fier aussi de la culture qu'il a acquise dans les Lettres et le Droit. Il n'a pas oublié qu'il a été écolier dissipé et a conservé de cette période un goût prononcé pour la plaisanterie parfois scabreuse. Comment aurait-il pu résister, dès lors, au plaisir de communiquer l'art de vie qu'il s'était forgé tout au long de sa vie ? Ce n'est compatible ni avec l'idée qu'il se fait de sa mission cléricale ni avec sa fierté de poète. Jean Ruiz offre donc son livre, comme un cadeau. Ce livre parle de l'amour, de ses plaisirs, de ses dangers. Il en parle comme le ferait un traité philosophique mais aussi comme un art d'aimer; il mêle considérations de haut vol et détails grotesques; amours nobles et amours paysannes. Il est surtout un hymne à la vie et une incitation à la dévorer. Voilà bien la preuve que, vers 1330-1340, cette Castille d'avant la Peste Noire, dans laquelle chrétiens, juifs et musulmans faisaient encore bon ménage, est capable de nourrir des talents littéraires exceptionnels et de donner de purs chefs-d'œuvre.