La philosophie de Levinas entend passer au-delà de l'être jusqu'au bien. C'est la raison pour laquelle elle commence, en apparence paradoxalement, par une ontologie. Cette ontologie offre le point de départ de son mouvement vers l'éthique, à partir de laquelle prend son sens la transcendance. Or l'ontologie comme ensuite l'éthique ont un point commun : leur dimension égologique, qui n'a rien de secondaire dans l'ensemble du projet, mais se confond avec lui : c'est en effet l'épreuve de son être par la subjectivité et la nécessité pour l'ego de s'en arracher, qui impose le drame d'affronter un autre que l'être. Ainsi seulement peut-on reprendre le geste complet de la pensée de Levinas - ce livre ne se propose pas d'autre but. Ainsi comprises, ontologie et éthique apparaissent comme deux possibilités de s'arracher à la présence massive et anonyme de l'être. La constitution ontologique du soi, qui le maintient dans sa solitude sans autrui, finit, étrangement, par rendre impensable l'être à soi. La solution éthique, qui lui succède, surprend tout autant, puisque la subjectivation s'y accomplit sous la forme d'une responsabilité passive et incessible pour autrui, en sorte que le soi s'affirme en contredisant la règle de l'être, à savoir d'être soi par soi et en soi. Autrement qu'être ne signifie que cela. Cette philosophie garde le souci de soi et du soi, mais en faisant droit aux ambiguïtés et aux paradoxes de la présence à soi, prise entre le poids de l'être et l'exigence de l'Autre. On tente de les comprendre en rétablissant ici les rapports, souvent laissés dans l'obscurité, entre Levinas et Husserl, Heidegger bien sûr, mais aussi Kierkegaard, Sartre, Henry, Blanchot et Ricœur. R. C.