"De futur simple en futur antérieur, de ces circuits d'enfance à cet autel de l'avenir d'aujourd'hui rencontré dans la glace piquée de la cheminée, de ce printemps d'avant-hier à celui des marronniers du Luxembourg que je suis allé enfin respirer, combien de tours de manège, combien de va-et-vient et d'allers sans retours et de retours de manivelle ! Mon Dieu, Maman, comme ton petit a vieilli ! Sans doute aura-t-il voulu courir trop de lièvres à la fois, se mesurer à l'aune de grands exemples, le souffle lui aura manqué (la course de fond ne fut jamais son fort). Peut-être aura-t-il chevauché un coursier trop fougueux, ce cheval blanc qui déjà l'emportait sur les pistes d'Arizona, au désert de Santa Fe. Ma mère, pardonnez-moi parce que j'ai péché. Par défaut. Absence, faiblesse, pusillanimité. C'est déjà bien difficile de devenir seulement ce que l'on est. Quant à être celui que l'on voulait devenir !" Elle roule, la plume de Michel Bedu ; elle coule ; elle se fait liquide et méandreuse. Libre, volontiers gouailleuse et insolente, elle n'en demeure pas moins soucieuse de rendre justice à des personnages croqués ici avec délice. Soit "Les Voix d'eau de la mémoire", roman d'apprentissage à nul autre pareil, moins focalisé sur la restitution linéaire du temps de l'enfance et de l'adolescence, qu'emporté par le plaisir, nécessairement souverain et indomptable, de la réminiscence.