Six personnages de notre temps... Robert Pons se demande pourquoi, un jour de 1943, il a accepté de torturer un patriote : fanfaronnade, vice, élan irresponsable ? Plusieurs années plus tard, il se met à la recherche de sa victime, et en devient l'ami. Il ne trouve ni la paix, ni le pardon, ni même le châtiment. Alain Dumaine, toujours amoureux, connaît l'existence errante des professeurs sans relief ; quand donc les femmes qui se donnent à lui le prendront-elles au sérieux ? Il vient, il passe, il ne reste dans l'âme de personne.
Solange de... se répand en mondanités et en aventures sans lendemain. Elle devient la maîtresse d'un intellectuel de gauche, puis, comme par contraste, d'un activiste de l'O. S. A. En quête d'un drame, elle ne rencontrera que les mille aspects du burlesque et de l'artifice. Veuf inconsolable, Samuel Benson abandonne ses affaires et fuit sa ville natale, Chicago. A New York, à Londres, à Gênes, il cherche l'oubli dans la débauche, et n'ose pas aller jusqu'au suicide.
Une fois douillette et timide pourra-t-elle faire de lui autre chose qu'un cadavre en sursis ? Les caractères forts, eux aussi, ploient sous les compromis. Paul Santier a tout pour réussir : fortune, audace, intelligence, habileté. Il fait une carrière politique foudroyante dans les premières années de la Cinquième République, et publie quelques livres remarqués. Mais l'habitude de calculer le moindre de ses gestes ne l'amène-t-elle pas à perdre le plus clair de ses chances ? Volontaire comme lui, et doté d'un bon cynisme, Roland Borain, après une adolescence douteuse, se lance dans les affaires.
Les millions s'accumulent, jusqu'au jour où une maladie incurable... Six destins à l'image des années 1949-1962 où se situe le roman. Des conquêtes se défont, des vérités se minent, des rêves finissent dans l'ennui. En revanche, les tragédies mêmes prennent l'allure de petits caprices. C'est que tous les tigres sont désormais de papier. Les six personnages ne se rencontrent pas ; ils vivent chacun leur solitude ou leurs malentendus, reliés par les ivresses et les malaises de leur époque, et aussi par l'unité que leur donne la prose d'Alain Bosquet, toute d'introspection et de lyrisme sardonique.
Après le drame de conscience des Petites éternités et les splendeurs exotiques de La Confession mexicaine (Prix Interallié 1965), Alain Bosquet vient d'écrire son roman le plus ambitieux, où il renouvelle son art de conter en condamnant les simulacres de notre temps, mais en chantant les surprises de sa spontanéité. C'est sans doute son livre le plus ample et le plus vrai.