Ce livre marque le bilan de plus de deux décennies de recherches effectuées au croisement de divers secteurs des mathématiques, des philosophies anglo-saxonnes modernes et contemporaines, et de la psychanalyse ; il est sous-tendu par une enquête plus générale sur la possibilité de construire aujourd'hui une théorie des fictions en accordant à cette dernière la valeur fondatrice qu'un grand nombre de philosophies paraissent avoir perdue (à commencer par le kantisme et la phénoménologie). Plusieurs fils sont entrelacés. Le premier consiste en une approche résolument " empiriste " des mathématiques ; cette conception, qui vise à secouer le joug d'une attitude a prioriste, pour ne pas dire innéiste, très généralement et spontanément adoptée en la matière, aboutit à accorder un rôle essentiel à la notion de fiction. Cette carte " fictionaliste ", avancée par Aristote et rénovée plus récemment par l'utilitarisme, semble ne jamais avoir été jouée comme il convenait ; en raison des échecs relatifs des diverses philosophies des mathématiques qui se sont disputé le terrain jusqu'à ce jour, il est tenté ici de relever cet héritage, fascinant mais délaissé. Le deuxième fil conducteur de l'ouvrage est celui d'un " psychologisme " délibéré et avoué : il s'agit d'ouvrir sur les aspects affectifs, dynamiques et économiques qui sous-tendent les efforts logiques et démonstratifs des mathématiciens. Ces recherches, quand elles sont esquissées, paraissent encore " échapper " au philosophe, au penseur, au psychologue même, quand ils ne les dénoncent pas par principe. Il est temps d'attirer l'attention sur le travail particulier des schèmes à l'œuvre en toute démonstration. Le troisième fil met l'accent sur un certain type de pensée technique, qui mène son chemin aveuglément et symboliquement ; mais non pas sans pensée. Valéry disait : " Il n'y a de science que des actes. Tout le reste est littérature ". Le présent livre, variation sur la pensée active des mathématiques, n'en néglige pas pour autant " le reste ", puisque la théorie des fictions proposée ne sépare les concepts ni de ce qu'il est convenu d'appeler, fallacieusement d'ailleurs, le " contexte ", ni des schèmes dont l'auteur a cherché à établir qu'ils sont communs aux mathématiques et à la littérature.
Jean-Pierre Cléro est professeur à l'université de Rouen. Agrégé et docteur de philosophie, il a pratiqué les mathématiques, leur histoire et leurs philosophies, avec les enseignants de mathématiques des IREM.