L'usage substantivé du mot "soi" est intriguant. Le pronom tonique "soi" ne pose pas de problème particulier dans les expressions comme "prendre soin de soi", "compter sur soi" ou "être hors de soi". Mais parler d'un "soi", c'est aller au-delà de la réalité grammaticale et supposer une identité personnelle à travers la diversité des expériences. Or, l'idée de soi et la croyance en l'identité personnelle ont été mises en question par David Hume, dont les arguments résonnent toujours dans la philosophie contemporaine. Le but de ce livre est double : montrer, en historiens de la philosophie, de quelle façon le philosophe britannique a répondu à ces problèmes, et évaluer la fécondité de ces résultats pour les sciences de l'esprit.
Le soi ne va pas de soi. Plus exactement le sens du substantif "le soi" est suspect. Que chacun puisse parler de soi, prendre soin de soi, ne compter que sur soi ou bien même être ou ne pas être soi, soit. Mais cela ne revient pas à dire que l'on parle d'un soi, que l'on prenne soin de son soi, que l'on ne compte que sur ce soi, ni enfin, que l'on soit - ou que l'on ne soit pas - un soi. Parler d'un soi c'est aller plus loin. C'est supposer une identité personnelle à travers la diversité des expériences. Une telle croyance en l'identité personnelle est précisément ce que Hume, en différents endroits de son oeuvre, a pu interroger. Rappeler ce qui rend selon lui l'idée de soi problématique permet, dans un premier temps, de souligner combien ses arguments furent séminaux, jusque dans la philosophie contemporaine. Mais la philosophie de Hume ne s'est pas contentée d'en faire la critique. Elle s'est également donnée les moyens de répondre à ce problème dans son enquête morale, sociale et esthétique. Les ressources de cette approche, mises en lumière par une lecture rigoureuse, méritaient donc d'être étudiées pour elles-mêmes, en montrant leur fécondité actuelle pour les sciences de l'esprit. C'est toute l'utilité de ce livre.