Les pages lumineuses que le regretté Jean Starobinski consacre aux Rêveries du promeneur solitaire incitent le lecteur à se glisser dans l'ouvrage avec confiance, sans trop s'alarmer de ses évidents paradoxes, au premier titre celui d'une expérience intérieure de la rêverie qui est pourtant soumise à l'extériorité par l'écriture. Car telle serait la rêverie chez Rousseau : non pas l'acte de cesser de penser, mais l'expérience de seulement penser, sans les médiations du savoir ou des autres ; un pur jaillissement avec sa durée propre, où la pensée ne se laisserait distraire ni par des contenus de connaissance ni par le souci du comment dire. Cette conversation de l'homme désocialisé avec lui-même, qui l'ouvre sur des réalités morales inaccessibles à l'homme corrompu, resterait une tâche sans doute - une sorte d'exercice spirituel - mais elle ne reposerait désormais sur rien d'autre que le sentiment intérieur. Si le sentiment de l'existence dit la vérité de l'aventure rousseauiste, il garde son énigme en prenant dans les Rêveries la forme d'une parole énoncée dans la quasi-solitude, qui n'évite la dénaturation qu'en restant adressée à soi seul. Les articles réunis dans le présent volume entendent proposer une contribution à cette question et ainsi, du moins est-ce le souhait qui traverse ces lignes, affiner le goût du lecteur et relancer son étonnement.