L'Europe n'en a pas fini avec le processus de sécularisation qui se développe depuis l'époque moderne. Aujourd'hui, la sécularisation de nos sociétés prend de nouvelles formes, sur lesquelles se sont penchées les sciences humaines, la philosophie, la théologie et toutes les autres disciplines qui traitent du religieux. La circonscription de l'espace public, en tant qu'espace dépourvu de toute conviction, est l'une des revendications premières de nos démocraties laïques. Pourtant, en suivant des chemins débroussaillés par Lévinas ou Rancière, les auteurs montrent que cette pratique de la négation de tout ce qui excède le champ de la pensée neutre (qu'elle soit scientifique, idéologique, politique, sociale...) ne va pas sans effets pervers. Les nouveaux modes de socialisations, qui découlent de ce déni de l'excès, conduisent inéluctablement à un déni de l'humain. Peut-on alors réfléchir à d'autres stratégies vis-à-vis de ce mouvement de fond qu'est la sécularisation de nos sociétés, qui fait encourir le risque d'une trop forte homogénéisation sociale et d'un oubli des personnes ? Constatant le déni de l'excès que sanctionne la schize " postmétaphysique " entre critique intellectuelle et conviction privée, plusieurs stratégies d'autoréflexion performative sont ici proposées. Elles correspondent à différentes formes de socialisation de la philosophie, de la théologie ou autre traitement du religieux, des sciences humaines. Ces stratégies et les formes de vie évoquées ne se recouvrent pas. Mais elles posent toutes le pari que le déni de l'excès conduit à un déni de l'humain, et que cela se " déjoue " dans la reconnaissance, première, de l'existant particulier, insubstituable et sociable.
Isabelle Ullern est doyenne de la Faculté libre d'études politiques (académie de Versailles) et philosophe associée à l'atelier international TEPSIS - Les usages publics du passé.